En ce jour de fin septembre, le
petit village de la Châtaigneraie se réveilla sous un ciel chargé de nuages
blanc scintillant comme personne n’en avait jamais vus. Tous les habitants
sortirent admirer ces étranges cumulus, et chacun y allait de son présage. Le
scientifique affirmait que ces nuages étaient composés d’eau cristallisée, et
que par conséquent, il neigerait dans l’heure – une précocité insolite – ou,
plus vraisemblablement, qu’il grêlerait. L’âme d’enfant y voyait de la poudre
de paillettes ; les anges faisaient la fête là-haut et viendraient nous
emmener avec eux. L’inquiet se tracassait sur l’imminence d’un cataclysme,
d’une terrible catastrophe météorologique. Le défaitiste surenchérissait,
évoquant une Fin du Monde proche – en même temps, avec toutes les cochonneries
que l’on dispersait dans l’air, ce n’était pas étonnant que mêmes les nuages
s’en trouvassent génétiquement modifiés. Le vieux meunier du village écoutait
ces suppositions fantasques avec détachement, trop occupé à récolter les
premières châtaignes tombées dans l’allée des châtaigniers.
Et soudain, il se mit à pleuvoir, ou
plutôt à grêler. Une violente averse s’abattit sur les habitants, qui coururent
se réfugier dans leurs maisons, fuyant la piqûre des grêlons. Seul le vieux
meunier resta dehors, abrité sous un châtaignier, son panier de récolte à la
main.
Tous les autres furent surpris de
n’être même pas trempés. Pas une once d’humidité sur les vêtements, pas une
seule goutte d’eau dans les cheveux. Juste quelques traces rouges d’impacts sur
la peau. Et, cachés dans capuches ou tombés à leurs pieds, de drôles de grêlons
étonnamment allongés. Ils ne fondaient pas, ne bougeaient pas (au moins ce
n’étaient pas de petits vers). Il pleuvait des grains de riz. De petits grains
de différentes formes, ronds ou longs, aux tonalités nacrées variées, blanc,
opalin, ivoire, crème, blond, doré… Dommage qu’il n’y eût personne à marier.
Les nuages se vidèrent de leur
cargaison céréalière comme des ballons de baudruche, et rapidement le soleil
réapparut, faisant briller le sol désormais couvert d’un fin manteau de riz.
Les habitants du village sortirent
tous précipitamment, armés de sacs, de cabas et de caisses afin de récolter ce
riz qui luisait comme s’il avait été poli. Les journalistes se déplacèrent, la
nouvelle fit la une des journaux, du journal télévisé, de la radio, des sites
web d’informations, s’extasiant devant le miracle de cet or blanc tombé du
ciel, s’interrogeant sur une éventuelle prochaine pluie de céréales, qui sait
même d’autre chose. Pendant trois jours, on petit-déjeuna, déjeuna, goûta et
dîna de riz. Il était parfumé et délicat, léger et fondant. Il n’en resta pas
une miette. Et puis les gens oublièrent, il y avait le championnat de course en
peignoir et de lancer de casseroles, l’élection du plus beau robot-mannequin et
la fête du médicament.
La vie reprit son cours. Le vieux
meunier moulut les châtaignes récoltées sous la pluie de riz. Il avait
recueilli un à un tous les grains de riz qui s’étaient lovés dans son panier d’osier,
recouvrant les fruits des bois d’un voile blanc. Il l’avait ensuite entreposé
dans un grand sac de toile, au fond de son moulin. Il en faisait cuire
parcimonieusement et exceptionnellement, lorsque son petit-fils à l’intestin
fragile venait le voir. En effet, la châtaigne et le riz étaient deux des rares
denrées que son corps acceptait d’absorber sans rechigner. Mais loin d’être
monotones et sans saveur, ces repas étaient chaque fois une fête, que ce soit
une galette riz-châtaigne, une purée châtaigne-riz, un gratin riz-châtaigne ou
une poêlée châtaigne-riz. Miraculeusement, le sac de toile ne se vidait jamais.
Un jour, il moulut le riz avec soin,
et obtint une poudre opaline étincelante, qu’il mélangea à la farine de
châtaigne, en hommage à ce jour pluvieux d’automne. Il en fit un pain doux et
léger comme un nuage, moelleux comme un coussin sous sa croûte tortueuse et
blanche. L’oreiller
de Nea, la nymphe du châtaignier (Casta Nea,
en latin, « chaste Nea », qui a donné châtaigne).
Il l’enroulait dans un tissu de
feuilles de châtaignes tressées et le cachait dans la sacoche de son petit-fils
avant qu’il ne repartît. C’était comme s’il restait toujours près de lui, comme
s’il pouvait protéger son petit être. Mais il gardait toujours quelques
tranches, qu’il savourait devant l’âtre, avec du beurre de noix ou du miel… de
châtaignier.
J’ai
toujours aimé la pluie ☂. Peut-être à cause de ma peau si blanche, si
translucide, qui supporte si peu le soleil (je suis incapable de rester plus de
cinq minutes sous un ciel sans nuages, à mon grand désespoir). Mais quand
certaines personnes désespèrent d’un temps gris qu’il qualifie de maussade, de
morose, j’y vois une bénédiction du ciel. La pluie donne un caractère
romantique et mélancolique à n’importe quel paysage, et quel bonheur d’observer
les gouttes ruisseler sur la fenêtre, et surtout de les entendre heurter le mur,
le sol. Écouter la pluie, la nuit, alors que l’esprit est encore à moitié dans
les bras de Morphée.
Enfant, j’imaginais des pluies d’étoiles ★,
de feuilles, de fleurs ❀, des pluies dorées, multicolores, des pluies magiques,
féériques, fécondes (le mythe de Danaé n’est pas loin). Lorsqu’il grêlait, il
pleuvait des grains de riz. Lorsqu’il neigeait, il tombait des flocons de riz,
ou du riz soufflé, ou de la noix de coco. (Dommage que les flocons soient
toujours blancs, imaginez des flocons de chocolat…).
☁
De petits grains...
Le
riz est une céréale appartenant au genre Oryza,
de la famille des poacées, ou graminées. Parmi le genre Oryza, seulement deux espèces sont cultivées pour leur fruit, ou
caryopse, le grain de riz : Oryza
sativa (dit riz asiatique) et Oryza glaberrima (riz ouest-africain). Le riz dit asiatique est le plus
ancien et le plus répandu aujourd’hui; il aurait été domestiqué vers 5000
avant notre ère, dans la région du nord de l’Inde actuelle. Toutefois, ces deux
espèces possèdent de nombreuses sous-classes, d’où les milliers de variétés de
riz.
Le grain de riz à l’état brut
est composé de trois couches principales :
♦
le noyau, constitué de 80 % d’amidon et de 20 % de protéines, exempt de gluten
♦ le germe, composé d’acides gras insaturés, de protéines, de vitamines, de minéraux,
d’oligo-éléments et d’enzymes
♦ les enveloppes, au nombre de trois : le son constitue les deux enveloppes
intérieures, riches en fibres, protéines, micronutriments et enzymes. La
troisième enveloppe externe est appelé glumelle ou balle, et n’est pas
comestible.
Tout juste récolté, le riz est dit paddy, il possède toutes les couches
précitées et n’est donc pas consommable. Le décorticage permet d’ôter la glumelle
du riz, et d’obtenir le riz complet, ou brun, aussi appelé riz cargo car il était autrefois transporté en bateau jusqu’en
Europe. Enfin, le riz blanc est un riz dont on a enlevé toutes les enveloppes
et le germe. De fait, il est essentiellement constitué d’amidon, ce qui le rend
très digeste, mais a perdu les vitamines et nutriments contenus dans le son et
le germe.
D’un point de vue nutritionnel, le
riz complet est riche en fibres (environ 3 g pour 100 g de riz cru) et en nutriments,
notamment en manganèse ★★★, en sélénium ★★, en
phosphore ★, en magnésium ★ et, dans une moindre mesure, en zinc, en fer et en cuivre. Le
manganèse interagit avec de nombreuses enzymes dans une douzaine de processus
métaboliques, participant à l’utilisation des glucides et des lipides dans
notre organisme. Il permet aussi de lutter contre les radicaux libres, molécules
dont le surnombre peut entraîner la détérioration de nos cellules. Le phosphore
est quant à lui le 2e minéral le plus présent dans notre corps,
après le calcium : il est l’un des constituants de nos cellules. Il joue
de surcroît un rôle dans le développement osseux et équilibre le pH du sang. Au
niveau des vitamines, le riz est une source de vitamines B1, B3, B5 et B6.
Polyvalent, il se décline en
flocons, crème, lait, sirop, et bien sûr en farine. La farine de riz est
obtenue par la mouture (ou broyage) des grains de riz crus. De par son absence
de gluten, cette farine est particulièrement digeste. Toutefois, le gluten rendant
la pâte élastique et permettant la bonne levée du pain, la farine de riz n’est
donc pas panifiable.
Très fine et blanche, la farine de
riz a une saveur discrète et légèrement acide. Elle est largement
utilisée dans la cuisine asiatique pour la confection des feuilles de riz ou de
nouilles. Utilisée en pâtisserie, elle donne une texture sableuse et
friable. Elle doit donc être mélangée à d’autres farines pour éviter une trop
grande fragilité des pâtes. De par sa teneur en amidon, elle peut aussi
épaissir des sauces, crèmes ou des soupes.
En usage externe, la farine de riz,
très adoucissante, calme les irritations.
☁
La châtaigne
La châtaigne est le fruit du
châtaignier, arbre de la famille des Fagacées (Castanea sativa). Cet arbre, originaire des montagnes du sud de l’Europe,
est très ancien : des feuilles et une châtaigne fossilisées datant de 8, 5
millions d’années avant notre ère (soit pendant l’ère tertiaire) ont été mises
au jour en Ardèche. Néanmoins, ce n’est qu’au Moyen-Âge qu’une vraie culture s’est
installée. Aujourd’hui, il est très courant dans les Cévennes et le Limousin
français. Il est aisément identifiable de par ses longues feuilles aux bords
aigus, ses longs chatons pendants et ses fruits, les châtaignes, de grosses
graines brunes et dures avec une tache plus claire, contenues dans une bogue
épineuse vert clair.
Une
bogue contient plusieurs graines, les châtaignes. Les châtaignes non
cloisonnées, autrement dit, lorsqu’il n’y a qu’une seule graine dans la bogue,
sont des marrons. Attention toutefois de ne pas confondre le châtaignier avec
le marronnier d’Inde (Aesculus
hippocastanum), originaire des Balkans et de Turquie, dont le fruit est
toxique. Celui-ci se caractérise par une bogue plus épaisse et aux épines moins
drues et plus courtes que celles du châtaignier. Le marron d’Inde est souvent
plus rond et trapu, et ne possède pas la torche,
la petite queue de la châtaigne, qui lui donne sa forme caractéristique (un
peu comme une goutte d’eau trapue).
La châtaigne est un akène, autrement
dit un « fruit monosperme (une seule graine), indéhiscent (qui demeure
clos), sec et dont le péricarpe (la paroi) est distinct de la graine »,
selon la définition du CNRTL. Tout comme le grain de riz, la châtaigne possède,
à l’état brut, trois couches :
♦ l’amande,
la masse farineuse, consommable
♦ le tan, cette petite enveloppe brun-rouge
♦ une coque mince, dure et brillante de couleur brune, avec sa petite « torche »
Débarrassée de sa coque et de son tan, la châtaigne contient
jusqu'à 35 % de glucides, majoritairement de l’amidon (ce taux s’accroît dans
le temps, il est ainsi plus élevé quelques semaines après la récolte) et 5 % de
fibres, mais est pauvre en protéines et en lipides. Rôtie, elle est une bonne
source de manganèse et de cuivre ★★, ce dernier étant nécessaire à la formation
du collagène, une protéine servant à la structure et à l’entretien des tissus. Enfin,
la châtaigne est une source de vitamine E, de vitamine C et de vitamines du
groupe B (B1, B2, B6 et B9).
Sainte Hildegarde de Bingen
(1098-1179) considérait la châtaigne comme un fruit aux vertus remarquables :
« Ce fruit est utile contre toute faiblesse qui est dans l’homme. Mangez-en souvent avant et après le repas : le cerveau s’en nourrit, les nerfs se fortifient et ainsi passera le mal de tête… Le châtaignier est très chaud et, à cause de sa chaleur, il possède grandes vertus, car il symbolise la modération et tout ce qui est en lui est utile contre toutes sortes de faiblesses. » (Lu dans Sainte Hildegarde, supplément au n°187 de L’Étoile Notre Dame, p.9.)
Ces recommandations rejoignent la
MTC, qui considère la châtaigne comme un fruit tiède et doux, relié à l’Énergie
Terre. La châtaigne est en effet un fruit très nourrissant, qui réchauffe l’organisme.
Elle est toutefois bien tolérée par les intestins délicats.
La farine de châtaigne est
élaborée entre octobre et décembre. Les châtaignes récoltées sont séchées avant
d’être décortiquées, triées et moulues. Elles peuvent aussi être « biscuitées »
grâce à un léger passage au four juste avant le broyage, afin d’exacerber le
goût de la farine. En effet, la farine de châtaigne possède un goût très doux,
légèrement sucré, presque praliné, tandis que sa texture est soyeuse et sa
couleur crème.
La farine de châtaigne contient plus de 75 % de glucides,
ce qui en fait un aliment énergétique. Tout comme la farine de riz, elle ne
contient pas de gluten. De fait, on a coutume de préconiser l’utilisation de 30
% de farine de riz ou de châtaigne (ou d’autres farines sans gluten) pour 70 %
de farine avec gluten dans l’élaboration d’un pain ou d’une pâte levée. Néanmoins,
l’ajout d’un substitut au gluten, comme la gomme de guar ou de mix’Gom (mélange
de poudre de graines de psyllium blond et de gomme d’acacia) permet la
réalisation de « pains » sans gluten, à ceci près que la texture sera
plus dense et moins alvéolée qu’un pain normal.
Le riz symbolise
l’immortalité, la pureté et la prospérité en Chine (un épi de riz est
d’ailleurs représenté sur le côté pile de la pièce de 5 yen. La châtaigne, quant
à elle, aurait des vertus aphrodisiaques selon les Celtes (le châtaignier
représentant la virilité de par ses racines tortueuses et noueuses). En outre,
de nombreuses traditions attribuent à la châtaigne des liens métaphysiques avec
l’Au-Delà, en particulier au sud de la France, où l’on mangeait jadis des
châtaignes le soir de la Toussaint, la Fête des Morts, avant d’en placer sous
l’oreiller afin d’éloigner les âmes revenantes mal intentionnées, et sur le
rebord de la fenêtre pour rassasier les morts. Glissées dans un cercueil, elle
permettrait au défunt de trouver la voie de l’Au-Delà.
Pour
deux petits coussins :
400
g de farine de riz complet
160
g de farine de châtaigne
1
sachet de levure de boulanger déshydratée pour pain sans gluten
2 càs de Mix’Gom
2 pincées de sel
40 à 50 cl d’eau tiède
♦Dans un grand saladier, mélanger les farines, la levure, le Mix’Gom et le sel.
♦ Ajouter petit-à-petit l’eau tiède jusqu’à obtenir une pâte homogène, légèrement humide mais non collante. Ne pas travailler trop la pâte, elle demande délicatesse et tranquillité.
♦ Laisser dormir la pâte 1h30.
♦ Séparer la pâte en deux, et les placer dans des moules à cake ou bien les rouler légèrement pour leur donner une forme cylindrique. Inciser la surface des pains.
♦ Laisser somnoler les pâtons 30 minutes.
♦ Cuire les pains dans un four préchauffé à 200 °C pendant 30 à 40 minutes. Le dessus doit être craquelé et de couleur riz, le dessous lisse et couleur châtaigne.
♦ Cuire les pains dans un four préchauffé à 200 °C pendant 30 à 40 minutes. Le dessus doit être craquelé et de couleur riz, le dessous lisse et couleur châtaigne.
Ce petit pain aux effluves automnaux, très
digeste, se déguste comme un vrai dessert, nature ou avec du beurre, du miel,
de la confiture dorée ou de la purée de noix, de noisettes, d’amandes, toute la
douce palette de la saison qui vient. Moelleux comme un coussin sous une croûte
friable et blanche. À déguster au coin du feu, la veille de la Toussaint ou
l’avant-veille, ou le lendemain, pour se protéger des mauvais esprits, rencontrer
les bons, sentir que l’on se fait du bien. Tout simplement.
☁ ☁ ☁ ☁ ☁
Sources
COUPLAN François, DEBUIGNE Gérard. Le Petit Larousse des plantes qui guérissent. Paris : Larousse, 2013. 1032 pages.
CUPILLARD Valérie. Bio, bon, gourmand. Issy-les-Moulineaux : Prat Éditions, 2008. 480 pages.
Riz
"Riz" (en ligne). In PasseportSanté.net.
Châtaigne
"Châtaigne et marron" (en ligne). In PasseportSanté.net.
Fully Fête de la châtaigne (en ligne).
Quelle jolie jolie histoire, elle est de toi? Je découvre ton blog et ses douces recettes, ta patte de conteuse et d'intéressants paragraphes sur les ingrédients. Ton blog est une perle. Bravo, je reviendrai te voir pour une évasion tendre et gourmande!
RépondreSupprimerBonjour Perrine ☀
RépondreSupprimerOui, j'écris et compose toutes les histoires sous l'Arbre-en-Ciel, des instants féeriques précieux, qui s'entremêlent de souvenirs et de saveurs. Un immense merci pour tous ces compliments, et à bientôt pour de nouvelles escapades littéraro-culinaires... En attendant, je m'en vais de ce pas, ou plutôt de ce doigt sillonner les pages de ton blog, cueillir de l'inspiration ✨